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samedi 26 octobre 2024
Simon Daniel Kipman L'oubli est une force de vie
conseils de psychologue
L’oubli est une force de vie
L’obsession actuelle de la commémoration et du souvenir collectif nous étouffe, d’après le psychiatre et psychanalyste Simon-Daniel Kipman. Car, plus nous oublions, plus nous sommes ouverts sur l’avenir, disponibles à la surprise et à l’invention.
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Àquoi nous sert l’oubli ?
Simon-Daniel Kipman : À quoi sert de penser ? À quoi sert de digérer ? Nous ne pouvons pas nous en défendre. Il est impossible de lutter contre l’oubli. C’est une obligation et probablement une nécessité vitale. Je me suis demandé pourquoi nous passions notre temps à stigmatiser ce mécanisme. Pourquoi cette moralisation ? Je trouvais injuste qu’un phénomène aussi fondamental soit toujours envisagé sous un angle négatif, alors qu’il nous définit finalement tout autant que le souvenir.
– En quoi l’oubli nous définit-il ? Ne construisons-nous pas notre identité avec nos souvenirs ?
– Si. Nous travaillons à partir de bribes, de moments épars de notre existence et nous construisons ainsi notre propre histoire. Les souvenirs nous permettent de consolider l’image que nous nous faisons de nous-mêmes. Mais c’est avec et grâce à l’oubli que nous trions et fabriquons notre propre légende.
– Comment se fait-il que nous oubliions certains événements et pas d’autres ?
– La remémoration repose sur l’association que nous établissons entre un événement et l’émotion que nous avons ressentie en le traversant. Il existe deux raisons à l’oubli : l’absence ou la faible intensité de l’émotion éprouvée face à ce qui s’est passé et, le cas opposé, quand l’émotion est trop forte. Dans cette configuration, nous arrêtons de penser. Notre cerveau se gèle, nous basculons dans un état de sidération qui conduit à dissocier l’émotion de l’objet qui l’a suscité. Quand il devient impossible d’associer, l’oubli a lieu.
Des moments en famille au sommet
– C’est ce que Freud appelle le processus de refoulement ?
– Non. L’oubli ne se réduit pas au refoulement. Oublier, c’est perdre connaissance, au sens figuré mais aussi au sens propre. Nous effaçons de notre cerveau ce qui nous est arrivé, et nous ne pouvons nous en rappeler que s’il y a relance par l’extérieur. C’est la pression de ceux ayant vu à la télévision des images d’une avalanche qui réactive l’événement et le transforme ainsi peut-être en traumatisme chez des victimes qui l’ont effacé. Car ressusciter un souvenir peut parfois être plus dangereux qu’oublier.
– N’est-ce pas le contraire que nous avons appris, à savoir qu’oublier peut conduire à des traumatismes, des comportements erratiques ?
– Oui, mais l’oubli est aussi une force de vie. Il est le signe que notre organisme réagit pour se protéger d’un conflit intérieur, d’une agression externe ou d’émotions trop fortes…
– Quelles sont les autres vertus de l’oubli ?
– Il permet d’échapper aux idées maniaques, aux procrastinations obsessionnelles. Quand nous oublions, tout est neuf. L’oubli nous sort du train-train. Si nous ne fonctionnions qu’avec des souvenirs, nous passerions notre temps à nous répéter. Plus on répète, moins l’on pense. À l’inverse, plus nous oublions, plus nous inventons. Oublier nous libère, nous rend ouverts à la surprise, disponibles.
– Vous croyez au bonheur par l’oubli ?
– Je crois à une part de bonheur par l’oubli, c’est exact. Selon Freud, il n’y a que deux choses à oublier, deux choses dont il faut sans cesse se déprendre et se dépêtrer : le sexe et la mort. L’oubli est d’ailleurs un puissant sédatif de la douleur du deuil. Il ne s’agit pas de faire disparaître nos disparus mais d’apprendre à vivre avec eux autrement. Ce qu’il est bon d’oublier, c’est le côté agressif, violent de la mort.
– Vous remettez en question le fameux « devoir de mémoire », dont, selon vous, « on nous a rebattu les oreilles ». Pourquoi ?
– Parce qu’il est un instrument politique. Aujourd’hui, les États se drapent dans un rôle de gardien de mémoire via les commémorations, les musées de type « mémorial ». Ils nous engloutissent sous la mémoire collective pour masquer leurs actions présentes, mais ces célébrations ne préservent pas du retour de l’atrocité. Au contraire. Elles nous désensibilisent, nous anesthésient en noyant notre mémoire personnelle dans le magma du groupe. Le souvenir devient ostentatoire, « moral », nous culpabilise. Je suis convaincu qu’à partir du moment où il est partagé de cette manière, le souvenir est déconnecté de sa signification personnelle. Nous n’oublions pas l’événement, non. Mais glorifier le souvenir comme nous le faisons aujourd’hui conduit à l’impasse. Envisager l’oubli comme l’occasion d’une renaissance nous permettrait, en revanche d’ouvrir les portes de l’avenir.
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